
Clémentine ralentissait le pas, traînait des pieds, attendant le moment propice pour commencer cette conversation qu'elle savait difficile. Elle enfonça ses mains au fond des poches de son jean bleu, avant de toussoter quelque peu. C'était une manière de rappeler sa présence à son compagnon de marche, lui dire discrètement « parle-moi, je suis là ». S'apercevant rapidement de l'inefficacité de son geste, elle se laissa envahir par la déception. Son pied frappa violemment une pierre noire qui reposait sur le sol poussiéreux des chemins du parc des buttes Chaumont. Samuel marchait quelques pas devant elle, calme, sans porter la moindre attention à ses tentatives vaines. Alors Clémentine prit la parole, pour clore ce silence qui la désespérait.
« Sam ? Tu sais... Tout ça... Ca représente quoi pour toi ? »
L'homme questionné se retourna pour faire face à la jeune brune. Ses cheveux lisses flottaient doucement avec la brise chaude du mois de juillet, dévoilant tous les traits de son visage si fin. Ses sourcils froncés laissaient apparaître la colère – ou l'inquiétude, Samuel n'aurait su dire – qui la traversait. Oh mais ses jolies lèvres, son minois adorable ne feraient pas pencher le jeune homme vers la voie de la niaiserie – surtout qu'ils savaient tous deux où cette situation les mènerait...
« - Tout ça quoi ? répondit-il, peut-être un peu plus froidement qu'il l'aurait souhaité.
- Tu sais bien, hoqueta Clémentine en s'énervant quelque peu. Nous deux, tout ce qu'on a vécu ensemble...
- Ah... C'était plutôt sympa, vraiment. Quelques belles nuits. »
Le sang de la jeune littéraire ne fit qu'un tour. Non, ce n'était pas du tout la réponse qu'elle attendait, ce qu'elle aurait aimé entendre. Elle souhaitait des mots doux, des compliments, être celle que Samuel aime, désire... Mais pas celle avec qui il passe « quelques belles nuits ». Non, il ne pouvait pas dire ça... Pas lui.
« - Tu me déçois tellement ! cria-t-elle sans faire attention aux regards des passants qui commençaient à se tourner vers eux. Je ne comprends pas... Comment peux-tu dire ça ?
- Clémentine, ne fais pas l'idiote... Tu t'attendais à quoi ? Tu voulais autre chose de moi ? »
Devant ces paroles douloureuses, Clémentine ne sut que répondre. Elle aurait voulu lui montrer que non, ensemble, ils étaient quelque chose. Qu'ils pouvaient s'aimer malgré tout. Mais tout resta coincé au fond de sa gorge. Elle était comme étouffée. Aucune issue possible. Rien ne tenait la route. Elle détourna le regard, ne pouvant faire face à son accusateur ; et ses yeux croisèrent ceux d'un corbeau au plumage sombre. Nuit.
« - Alors voilà, maintenant, tu ne dis plus rien, gronda Samuel d'une voix forte. Je te l'avais dit, Clémentine, je ne suis pas amoureux de toi. On n'était pas parti dans cette optique. Et on ne peut donc pas aller plus loin que ces quelques nuits. C'est impossible, tu comprends ?
- Alors je ne suis rien pour toi ? demanda la jeune brune, profondément blessée.
- Que voulais-tu être ?
- Au moins ton amie...bredouilla-t-elle en grimaçant. Tu m'as toujours traitée comme un objet en fait. J'ai été assez naïve pour croire autre chose. Moi, la seule chose que je demandais, c'était de passer du temps avec toi, de forger une amitié durable. Alors que toi, tu ne m'appelais que lorsque tu étais seul, que tu t'ennuyais. Tu n'as jamais eu de temps à me consacrer. J'avais cru être ton amie. Je ne te demandais pas plus, Sam... »
Ses derniers mots relevaient plus de la supplication que de la colère. Oh, cela se sentait, elle avait peur de le perdre. Et Samuel ne comptait pas lui redonner les rennes. Il était temps qu'elle voit clair dans cette situation. Qu'elle retire ce masque. Qu'ils arrêtent de jouer. Le rideau tombait. Et c'était pour leur bien à tous les deux.
« Une amie ? répondit-il violemment en secouant ses larges épaules. Depuis quand une amie envoie-t-elle des photos à demi-nue ? Hein ? Figure-toi que ce n'est pas une attitude normale entre potes ! C'est à cela que servent les couples, ma grande. »
Ces phrases déchirèrent la poitrine de Clémentine. Des lames de verre tranchantes s'enfonçaient dans sa peau, laissant apparaître une douleur peu supportable. Mais elle serrait les dents. Elle se battrait temps qu'elle n'aurait pas le dernier mot, temps qu'il restait une chance d'inverser le sens de la roue. Elle était encore capable de retirer de sa chair chaque morceau de verre, un par un... Pour posséder l'arme qui lui permettrait d'abattre l'Ennemi. Le véritable Ennemi, peut-être bien plus proche qu'on ne le pensait.
« Ces photos étaient le seul et unique moyen pour moi d'attirer ton attention, murmura la femme aux lames de verre. »
Samuel soupira... Cette conversation l'agaçait de plus en plus. Clémentine le bombarderait de reproches jusqu'à ce qu'elle obtienne ce qu'elle désire. Un acquiescement d'amitié, ou une quelconque preuve d'affection... Devant l'absence de sens que prenait cette discussion, le jeune homme chuchota à la littéraire de laisser tomber. Un geste désinvolte de la main accompagna son message, si bien que Clémentine ne tenta pas de continuer sur ce terrain dangereux. Il partit sans un mot de plus.
Elle s'installa sur un banc vert, couleur typique – comme si cela permettait de les fondre dans un décor plus naturel -, seule. Elle aurait pourtant donné beaucoup pour entendre une réponse différente de la part de Samuel. Oui, bien sûr, tout cela était sa faute. Elle savait bien comment cet épisode se terminerait. Le néant, un au revoir ou un adieu. Peut-être un nouveau bonjour quelques jours plus tard pour une nouvelle nuit. Mais elle n'espérait plus. Cette aventure regrettable prendrait fin ici. Pourtant, elle avait de nombreux amis en commun avec Sam... Un groupe soudé. Leur histoire aurait pu marcher bien mieux, pensa brune au joli minois. Valentin lui avait présenté cette connaissance il y avait quelques semaines, sous la demande suppliante de Clémentine – rencontrer le joli brun mal rasé au visage fin l'enchantait particulièrement. Les réticences de son ami pour cette présentation se montrèrent donc justifiées. Comme elle se le disait beaucoup trop souvent maintenant, elle aurait dû écouter Valentin. Elle se promit alors de suivre son prochain conseil.
Le téléphone de l'étudiante retentit. Elle fut soulagée en voyant le nom de Sarah s'afficher – une autre désignation n'aurait pas arrangé cette journée déjà pénible.
« - Allô ? demanda la destinataire de l'appel.
- Oui, coucou. Je souhaitais savoir comment s'était déroulée ta discussion avec Sam. »
Sarah parlait d'une voix timide, ce qui ne lui ressemblait absolument pas. La blonde extravertie au regard tueur n'employait ce ton triste que lorsqu'elle savait la situation problématique. Et c'était le cas.
« - Non, ça va pas trop. J'ai dit des choses débiles, je me suis laissée emportée. Et forcément, ça a été une véritable catastrophe.
- Oh, je suis désolée Clem...
- Non, la coupa la concernée. Ecoute, je suis pas trop d'humeur à parler de tout ça maintenant. C'est gentil d'avoir appelé, je te raconterai plus tard. Bisous. »
Et Clémentine raccrocha sans attendre de réponse. La voix compatissante de son amie ancrait cet après-midi douloureuse dans la terrible réalité. Oui, Samuel ne ressentait rien pour elle et les adieux avaient été prononcés silencieusement, les lèvres closes. Et maintenant, comment allait-elle se sortir de là ? Y avait-il une issue de secours prévue dans cet ascendeur d'émotions ? Elle craignait que non.
C'était dans sa propre poitrine qu'avaient finalement été relancés les morceaux de verre.
Elle se dirigea vers la sortie du parc, marchant doucement le long des allées d'½illets. Ils venaient de fleurir pour l'été. C'était décidé, elle retirerait son masque et ne revivrait plus jamais une telle situation. Le soleil commençait à descendre, teintant les alentours d'une lueur orangée. Clémentine accéléra le pas afin de rentrer chez elle avant la nuit.
Elle arriva devant la porte de son appartement, extenuée par la journée décevante qu'elle venait de vivre. Pablo, Pepper et Chanel, ses trois chats, l'accueillirent dans un concert de miaulements. Elle avança jusqu'au salon tout en évitant de bousculer ses animaux criards. Elle fut alors étonnée de tomber nez à nez avec Pascal. Elle avait oublié sa venue, trop préoccupée par son entretien précédent.
« Bonjour ma puce, déclara-t-il, enjoué. »
Elle lui répondit par un baiser tendre, en prenant soin de cacher la surprise qui l'avait animée quelques secondes plus tôt.
« Ta journée s'est bien passée ? dit-il pour engager la conversation avec sa moitié. »
Clémentine acquiesça rapidement, avant de prétexter préparer des popcorns pour leur soirée film. Pascal tenta de la retenir, lui proposant de le faire, mais elle n'y prêta pas attention. Arrivée dans la cuisine, elle déballa le paquet de sucrerie rapidement, par grands gestes brusques, avant de l'insérer au micro-onde. Lorsque la machine émit un petit bruit signifiant le début de son travail, elle se laissa tomber sur une chaise lourdement, et plaça sa tête entre ses mains. Elle était complètement perdue. Elle se sentait seule, au milieu d'un océan déchaîné, appelant de l'aide vainement. Mais qui lui porterait secours ce soir face à Pascal ? La question arrivait, avec le poids lourd d'un ciel qui vous tombe sur les épaules : devait-elle lui dire la vérité pour Samuel ? Chanel, son chat mince au pelage noir, grimpa sur le meuble d'en face et tourna doucement autour du vase contenant trois magnifiques roses rouges. Il répéta cette marche deux, trois fois, alors que Clémentine cherchait à répondre à son interrogation cornélienne.
Ce n'était pourtant pas la première fois que cette situation arrivait. Clémentine avait trompé déjà Pascal à deux occurrences, chacune lui laissant des regrets de plus en plus amers dans la bouche. Son compagnon avait toléré ces deux erreurs, la pardonnant pour conserver leur couple. Cependant, le comportement du grand à la peau mat avait changé depuis ce second écart. Lui parler d'un troisième achèverait l'union qu'ils construisaient depuis maintenant trois ans. Et l'étudiante refusait cette solution. Pourtant, lui mentir sur les évènements lui paraissait insurmontable. Et s'il le découvrait plus tard par lui-même ? Les conséquences seraient d'autant plus importantes. Le choix semblait impossible. Elle avait besoin de quelqu'un pour la sauver des vagues déferlantes, pour trancher à sa place. Et toujours, Chanel qui tournait autour des roses...
Pascal la rejoignit dans la cuisine. Sa mine joyeuse quelques minutes plus tôt semblait maintenant inquiète. Pouvait-il deviner ce qui se déroulait ? Clémentine prit peur, puis se raisonna l'instant d'après – il ne pouvait pas savoir, c'était totalement impossible. La seule bouche qui pourrait lui apprendre cette scène cachée était la sienne. Qui, pour le moment, ne savait que faire.
« Ca va ? demanda Pascal, visiblement inquiet. »
Clémentine hésita. Elle pouvait tout lui dire. Là, maintenant. Tout envoyer en l'air. Pour le meilleur ou pour le pire. Les secondes défilaient et le regard de son compagnon se faisait de plus en plus insistant. Plus elle attendait, plus l'incompréhension en face montait.
Comme pour sauver la jeune fille de son hésitation sans issue, Chanel, dans son brillant pelage foncé, bouscula les fleurs autour desquelles il tournait sans relâche. Le verre se brisa dans un vacarme éclatant, plongeant la cuisine dans une marre d'eau mêlée de pétales déchirées. Le chat aux poils noir resta sur le meuble, fixant la maîtresse de maison.
« Chanel ! cria-t-elle, relâchant la pression que pesait sur elle. »
Pascal la regardait, toujours aussi anxieux. Sa petite amie le soulagea avec un sourire appuyé, en lui disant qu'elle allait très bien, juste un peu fatiguée.
Clémentine s'empara d'une serpillère et entreprit de nettoyer le désastre de son chat. Elle n'avait pas été capable de dire la vérité à Pascal. Son choix était fait ; plus de retour en arrière. Elle devrait rentrer dans le jeu des mensonges et des non-dits – non sans appréhension.
Elle ramassa les derniers morceaux de verre, lança un regard droit à Chanel, avant de rejoindre Pascal dans le salon. Elle enfilait son masque. Bienvenue dans le « Ludus Personae ».
« Sam ? Tu sais... Tout ça... Ca représente quoi pour toi ? »
L'homme questionné se retourna pour faire face à la jeune brune. Ses cheveux lisses flottaient doucement avec la brise chaude du mois de juillet, dévoilant tous les traits de son visage si fin. Ses sourcils froncés laissaient apparaître la colère – ou l'inquiétude, Samuel n'aurait su dire – qui la traversait. Oh mais ses jolies lèvres, son minois adorable ne feraient pas pencher le jeune homme vers la voie de la niaiserie – surtout qu'ils savaient tous deux où cette situation les mènerait...
« - Tout ça quoi ? répondit-il, peut-être un peu plus froidement qu'il l'aurait souhaité.
- Tu sais bien, hoqueta Clémentine en s'énervant quelque peu. Nous deux, tout ce qu'on a vécu ensemble...
- Ah... C'était plutôt sympa, vraiment. Quelques belles nuits. »
Le sang de la jeune littéraire ne fit qu'un tour. Non, ce n'était pas du tout la réponse qu'elle attendait, ce qu'elle aurait aimé entendre. Elle souhaitait des mots doux, des compliments, être celle que Samuel aime, désire... Mais pas celle avec qui il passe « quelques belles nuits ». Non, il ne pouvait pas dire ça... Pas lui.
« - Tu me déçois tellement ! cria-t-elle sans faire attention aux regards des passants qui commençaient à se tourner vers eux. Je ne comprends pas... Comment peux-tu dire ça ?
- Clémentine, ne fais pas l'idiote... Tu t'attendais à quoi ? Tu voulais autre chose de moi ? »
Devant ces paroles douloureuses, Clémentine ne sut que répondre. Elle aurait voulu lui montrer que non, ensemble, ils étaient quelque chose. Qu'ils pouvaient s'aimer malgré tout. Mais tout resta coincé au fond de sa gorge. Elle était comme étouffée. Aucune issue possible. Rien ne tenait la route. Elle détourna le regard, ne pouvant faire face à son accusateur ; et ses yeux croisèrent ceux d'un corbeau au plumage sombre. Nuit.
« - Alors voilà, maintenant, tu ne dis plus rien, gronda Samuel d'une voix forte. Je te l'avais dit, Clémentine, je ne suis pas amoureux de toi. On n'était pas parti dans cette optique. Et on ne peut donc pas aller plus loin que ces quelques nuits. C'est impossible, tu comprends ?
- Alors je ne suis rien pour toi ? demanda la jeune brune, profondément blessée.
- Que voulais-tu être ?
- Au moins ton amie...bredouilla-t-elle en grimaçant. Tu m'as toujours traitée comme un objet en fait. J'ai été assez naïve pour croire autre chose. Moi, la seule chose que je demandais, c'était de passer du temps avec toi, de forger une amitié durable. Alors que toi, tu ne m'appelais que lorsque tu étais seul, que tu t'ennuyais. Tu n'as jamais eu de temps à me consacrer. J'avais cru être ton amie. Je ne te demandais pas plus, Sam... »
Ses derniers mots relevaient plus de la supplication que de la colère. Oh, cela se sentait, elle avait peur de le perdre. Et Samuel ne comptait pas lui redonner les rennes. Il était temps qu'elle voit clair dans cette situation. Qu'elle retire ce masque. Qu'ils arrêtent de jouer. Le rideau tombait. Et c'était pour leur bien à tous les deux.
« Une amie ? répondit-il violemment en secouant ses larges épaules. Depuis quand une amie envoie-t-elle des photos à demi-nue ? Hein ? Figure-toi que ce n'est pas une attitude normale entre potes ! C'est à cela que servent les couples, ma grande. »
Ces phrases déchirèrent la poitrine de Clémentine. Des lames de verre tranchantes s'enfonçaient dans sa peau, laissant apparaître une douleur peu supportable. Mais elle serrait les dents. Elle se battrait temps qu'elle n'aurait pas le dernier mot, temps qu'il restait une chance d'inverser le sens de la roue. Elle était encore capable de retirer de sa chair chaque morceau de verre, un par un... Pour posséder l'arme qui lui permettrait d'abattre l'Ennemi. Le véritable Ennemi, peut-être bien plus proche qu'on ne le pensait.
« Ces photos étaient le seul et unique moyen pour moi d'attirer ton attention, murmura la femme aux lames de verre. »
Samuel soupira... Cette conversation l'agaçait de plus en plus. Clémentine le bombarderait de reproches jusqu'à ce qu'elle obtienne ce qu'elle désire. Un acquiescement d'amitié, ou une quelconque preuve d'affection... Devant l'absence de sens que prenait cette discussion, le jeune homme chuchota à la littéraire de laisser tomber. Un geste désinvolte de la main accompagna son message, si bien que Clémentine ne tenta pas de continuer sur ce terrain dangereux. Il partit sans un mot de plus.
Elle s'installa sur un banc vert, couleur typique – comme si cela permettait de les fondre dans un décor plus naturel -, seule. Elle aurait pourtant donné beaucoup pour entendre une réponse différente de la part de Samuel. Oui, bien sûr, tout cela était sa faute. Elle savait bien comment cet épisode se terminerait. Le néant, un au revoir ou un adieu. Peut-être un nouveau bonjour quelques jours plus tard pour une nouvelle nuit. Mais elle n'espérait plus. Cette aventure regrettable prendrait fin ici. Pourtant, elle avait de nombreux amis en commun avec Sam... Un groupe soudé. Leur histoire aurait pu marcher bien mieux, pensa brune au joli minois. Valentin lui avait présenté cette connaissance il y avait quelques semaines, sous la demande suppliante de Clémentine – rencontrer le joli brun mal rasé au visage fin l'enchantait particulièrement. Les réticences de son ami pour cette présentation se montrèrent donc justifiées. Comme elle se le disait beaucoup trop souvent maintenant, elle aurait dû écouter Valentin. Elle se promit alors de suivre son prochain conseil.
Le téléphone de l'étudiante retentit. Elle fut soulagée en voyant le nom de Sarah s'afficher – une autre désignation n'aurait pas arrangé cette journée déjà pénible.
« - Allô ? demanda la destinataire de l'appel.
- Oui, coucou. Je souhaitais savoir comment s'était déroulée ta discussion avec Sam. »
Sarah parlait d'une voix timide, ce qui ne lui ressemblait absolument pas. La blonde extravertie au regard tueur n'employait ce ton triste que lorsqu'elle savait la situation problématique. Et c'était le cas.
« - Non, ça va pas trop. J'ai dit des choses débiles, je me suis laissée emportée. Et forcément, ça a été une véritable catastrophe.
- Oh, je suis désolée Clem...
- Non, la coupa la concernée. Ecoute, je suis pas trop d'humeur à parler de tout ça maintenant. C'est gentil d'avoir appelé, je te raconterai plus tard. Bisous. »
Et Clémentine raccrocha sans attendre de réponse. La voix compatissante de son amie ancrait cet après-midi douloureuse dans la terrible réalité. Oui, Samuel ne ressentait rien pour elle et les adieux avaient été prononcés silencieusement, les lèvres closes. Et maintenant, comment allait-elle se sortir de là ? Y avait-il une issue de secours prévue dans cet ascendeur d'émotions ? Elle craignait que non.
C'était dans sa propre poitrine qu'avaient finalement été relancés les morceaux de verre.
Elle se dirigea vers la sortie du parc, marchant doucement le long des allées d'½illets. Ils venaient de fleurir pour l'été. C'était décidé, elle retirerait son masque et ne revivrait plus jamais une telle situation. Le soleil commençait à descendre, teintant les alentours d'une lueur orangée. Clémentine accéléra le pas afin de rentrer chez elle avant la nuit.
Elle arriva devant la porte de son appartement, extenuée par la journée décevante qu'elle venait de vivre. Pablo, Pepper et Chanel, ses trois chats, l'accueillirent dans un concert de miaulements. Elle avança jusqu'au salon tout en évitant de bousculer ses animaux criards. Elle fut alors étonnée de tomber nez à nez avec Pascal. Elle avait oublié sa venue, trop préoccupée par son entretien précédent.
« Bonjour ma puce, déclara-t-il, enjoué. »
Elle lui répondit par un baiser tendre, en prenant soin de cacher la surprise qui l'avait animée quelques secondes plus tôt.
« Ta journée s'est bien passée ? dit-il pour engager la conversation avec sa moitié. »
Clémentine acquiesça rapidement, avant de prétexter préparer des popcorns pour leur soirée film. Pascal tenta de la retenir, lui proposant de le faire, mais elle n'y prêta pas attention. Arrivée dans la cuisine, elle déballa le paquet de sucrerie rapidement, par grands gestes brusques, avant de l'insérer au micro-onde. Lorsque la machine émit un petit bruit signifiant le début de son travail, elle se laissa tomber sur une chaise lourdement, et plaça sa tête entre ses mains. Elle était complètement perdue. Elle se sentait seule, au milieu d'un océan déchaîné, appelant de l'aide vainement. Mais qui lui porterait secours ce soir face à Pascal ? La question arrivait, avec le poids lourd d'un ciel qui vous tombe sur les épaules : devait-elle lui dire la vérité pour Samuel ? Chanel, son chat mince au pelage noir, grimpa sur le meuble d'en face et tourna doucement autour du vase contenant trois magnifiques roses rouges. Il répéta cette marche deux, trois fois, alors que Clémentine cherchait à répondre à son interrogation cornélienne.
Ce n'était pourtant pas la première fois que cette situation arrivait. Clémentine avait trompé déjà Pascal à deux occurrences, chacune lui laissant des regrets de plus en plus amers dans la bouche. Son compagnon avait toléré ces deux erreurs, la pardonnant pour conserver leur couple. Cependant, le comportement du grand à la peau mat avait changé depuis ce second écart. Lui parler d'un troisième achèverait l'union qu'ils construisaient depuis maintenant trois ans. Et l'étudiante refusait cette solution. Pourtant, lui mentir sur les évènements lui paraissait insurmontable. Et s'il le découvrait plus tard par lui-même ? Les conséquences seraient d'autant plus importantes. Le choix semblait impossible. Elle avait besoin de quelqu'un pour la sauver des vagues déferlantes, pour trancher à sa place. Et toujours, Chanel qui tournait autour des roses...
Pascal la rejoignit dans la cuisine. Sa mine joyeuse quelques minutes plus tôt semblait maintenant inquiète. Pouvait-il deviner ce qui se déroulait ? Clémentine prit peur, puis se raisonna l'instant d'après – il ne pouvait pas savoir, c'était totalement impossible. La seule bouche qui pourrait lui apprendre cette scène cachée était la sienne. Qui, pour le moment, ne savait que faire.
« Ca va ? demanda Pascal, visiblement inquiet. »
Clémentine hésita. Elle pouvait tout lui dire. Là, maintenant. Tout envoyer en l'air. Pour le meilleur ou pour le pire. Les secondes défilaient et le regard de son compagnon se faisait de plus en plus insistant. Plus elle attendait, plus l'incompréhension en face montait.
Comme pour sauver la jeune fille de son hésitation sans issue, Chanel, dans son brillant pelage foncé, bouscula les fleurs autour desquelles il tournait sans relâche. Le verre se brisa dans un vacarme éclatant, plongeant la cuisine dans une marre d'eau mêlée de pétales déchirées. Le chat aux poils noir resta sur le meuble, fixant la maîtresse de maison.
« Chanel ! cria-t-elle, relâchant la pression que pesait sur elle. »
Pascal la regardait, toujours aussi anxieux. Sa petite amie le soulagea avec un sourire appuyé, en lui disant qu'elle allait très bien, juste un peu fatiguée.
Clémentine s'empara d'une serpillère et entreprit de nettoyer le désastre de son chat. Elle n'avait pas été capable de dire la vérité à Pascal. Son choix était fait ; plus de retour en arrière. Elle devrait rentrer dans le jeu des mensonges et des non-dits – non sans appréhension.
Elle ramassa les derniers morceaux de verre, lança un regard droit à Chanel, avant de rejoindre Pascal dans le salon. Elle enfilait son masque. Bienvenue dans le « Ludus Personae ».